mardi 25 mars 2014

I love Paris

L'autre soir avant la partie du lundi, avec les amis-joueurs on discutait sec sur les suppléments de ville, nos chouchous, les biens, les moins biens et les carrément calamiteux. Bref, en quoi un supplément de ville est-il un bon outil pour le meneur de jeu et/ou les joueurs ?
A un moment, quelqu'un a pointé Paris, Ombres et lumières (pour Crimes) comme un modèle du genre. J'ai avoué mon ignorance crasse et la fois d'après, j'ai eu le bouquin entre les mains.

Le Paris de Crimes, c'est le Paris des Années Folles*. En 1900 pour être précis, « année la plus représentée dans les scénarios de Crimes. »
* A cette évocation le rôliste moyen perd 1d20 points de santé mentale en songeant au supplément à tentacules autrefois édité par Descartes. Oui, sans faire de jet, ce guide est  à ranger dans les calamiteux.

Le bouquin (200 pages) est divisé en trois chapitres, Le guide pratique des voyageurs (dont une vingtaine de pages sont destinées aux joueurs), Dix lieux emblématiques, Des entrailles de la terre — une campagne en phase avec le supplément.

Cet article du bloug est moins un compte-rendu de lecture qu'un inventaire de ce qui m'a enthousiasmé dans la panoplie d'outils proposée aux joueurs de Crimes pour faire vivre Paris autour de la table de jeu. D'autant que je n'ai pas tout lu, je n'ai fait que survoler le deuxième chapitre et pas du tout lu le troisième. Donc :

— Un jeu de questions/réponses (à destination des joueurs) articulé en trois parties :
État des lieux des transports, « quel est l'état de la circulation dans les rues ? quels sont les transports les plus communs ? », etc.
Investigations, « comment pister un voyageur ? comment peut-on connaître les avis de recherche et autres renseignements édités par la police ? comment se renseigner sur telle ou telle personne ? », etc.
Complications du voyage, « quels sont les risques liés à la conduite d'un véhicule ? comment gérer les barrières d'octroi et les quais de la Seine ?  », etc.


L'en-tête des paragraphes consacrés à la description de tel arrondissement avec sa liste de « mots-clefs » qui évoque rapidement l’atmosphère générale du quartier. Ainsi, pour le IIIème arrondissement : « Passage ; ruche ouvrière ; dédale de rues ; relents d'un passé médiéval.  »

— Neuf « champs d'intrigues majeures pour aider le meneur de jeu à bâtir ses campagnes », une chronologie pour les joueurs (toujours utile) et des factions, « les sociétés secrètes du monde de Crimes » qui sont avant tout un outil au service du meneur (développer ses intrigues et/ou des adversaires).

— Une chronologie "spécial meneur" : « loin des faits officiels, elle fourmille d'idées d'affaires, d'enquêtes et d'intrigues. »

— Les Trucs, astuces et inspirations pour décrire le Paris de 1900 « regroupés par thème ou type de lieux à décrire  : ambiances d'extérieur, dans la rue d'un quartier passant, dans la rue d'un quartier populaire, dans un quartier aisé, dans un intérieur populaire, dans un immeuble bourgeois. »
Pour chaque thème ou type de lieux, plusieurs descriptions sont proposées épinglées d'un petit paragraphe, genre "mais quoi faire avec ça ?"
Exemple (scanné) dans l'illustration de droite.

— Une page sur les différents rôles endossables par les pnjs. Typiquement le genre d'outil qui me fait bondir de joie sur ma chaise. C'est bien pensé et carrément utile : « les rôles narratifs sont là pour répondre à la question : quelle place peut prendre ce pnj dans ma campagne ? »
Quatorze rôles sont détaillés et distribués sur la soixantaine de pnjs présents dans le supplément. Il y a la Victime, « prédestinée à mourir au cours d'un prochain scénario » ; le Fournisseur, « qui est là pour prêter, donner ou vendre les objets ou les outils clés du scénario aux personnages » ; l'Informateur, le Concurrent, l'Expert, etc.

De la très très bonne came. 

mercredi 12 mars 2014

Les Mystères de Londres

Un (excellent) cadre de campagne pour Cthulhu, édité par le 7ème cercle. Mai 2012, 168 pages, 26 euros.


Dans le dernier tiers du bouquin de base du 7ème cercle, le chapitre Trame de campagne présente trois « structures narratives sur lesquelles le Gardien peut s'appuyer pour lier entre elles ses diverses campagnes et aventures isolées. »
L'une d'elle, Chasseurs de Livres à Londres, avait littéralement enflammé mon imagination (rien que le titre, bordel !). Quand j'ai appris que le 7ème Cercle traduisait Bookhounds of London, j'ai sauté au plafond puis rongé mon frein. Quand Les Mystères de Londres ont enfin paru, je me suis précipité chez mon revendeur et j'ai lu le bouquin dans la foulée. Et l'incendie, loin de s'éteindre, fut sans cesse ravivé par une relecture quasi ininterrompue.

Ainsi, Londres est le terrain de chasse privilégié des Chasseurs de Livres, des investigateurs-mercenaires « qui travaillent pour le plus offrant. Ils font la chasse aux livres pour les revendre à des Satanistes et autres apprentis-sorciers. Parfois, ils ne connaissent pas la nature exacte des ouvrages échangés... Parfois ils en connaissent infiniment plus que leurs clients. »

les deux premières parties du supplément (Chasseurs de Livres & Chasses aux Livres) s'intéressent justement aux personnages des joueurs — qui ils sont et comment ils travaillent.
Cinq nouvelles professions sont proposées et c'est évidemment celles qu'il faut présenter aux joueurs, à l'exclusion de toute autre :  le Bouquiniste, le Libraire, l'Agent de collection (sorte de détective privé), le Faussaire, l'Occultiste.
Comme chacune de ces cinq nouvelles professions bénéficie d'un court texte de présentation et de "règles spéciales", je note tout de suite l'idée de préparer des "livrets de personnage" sur le modèle d'Apocalypse ou Dungeon World : « prépare les livrets de personnage, un de chaque. Fais les passer aux joueurs. Ils doivent en choisir un chacun, et il ne peut pas y avoir de doublons. (1) »

Les toutes dernières pages de cette première partie (les Chasseurs de Livres) sont dédiées au QG des investigateurs : la librairie. La création en commun par les joueurs de la librairie en fait un "personnage" à part entière de la campagne. Il faut lui trouver un nom, une adresse, la décrire en général et un peu plus dans certains détails, allouer des points de création au Fond de la librairie « afin de fournir aux Chasseurs de livres le bouquin qu'il faut pour satisfaire un client ou pour faire face à un ennemi ou à une menace. » et à son Niveau de Vie, « sorte de moyenne reflétant les qualités globales de la boutique, son standing et son apparence, ses relations potentielles, etc.  »
Mais là où le QG des investigateurs trouve tout son intérêt, c'est bien parce qu'il est créateur de fiction, à la fois pour les joueurs et le Gardien. Entre la vie quotidienne, la clientèle des occasionnels et des habitués, les contacts divers, il y a de quoi jouer.

Ce qui nous mène directement à la deuxième partie, La chasse aux livres obscurs. Même si « le commerce des livres est certes un élément important du jeu, mais pas le point central. La campagne des Chasseurs de Livres ne traite pas du quotidien morne d'une bande de bouquiniste lambda, mais du monde souterrain et excentrique qui se cache derrière les ouvrages du Mythe. »
les chapitres et les encarts s'enchaînent sur près de vingt pages : trouver un acheteur, trouver un livre, les ventes aux enchères, le jargon de la Chasse au livres (27 entrées), gérer l'argent, les bibliothèques londoniennes, l'Enfer des bibliothèques, les liquidations testamentaires. Puis, les Livres eux-mêmes : comment rendre un livre unique, les livres occultes, les livres occultes historiques, les livres du Mythe.
Ici, l'heureux possesseur de Nécronomicon et autres ouvrages impies versera une larme de reconnaissance éternelle en tirant l'ouvrage de sa bibliothèque.

La troisième partie décrit le terrain de chasse des investigateurs : Londres.
[En (re)lisant ce chapitre, je n'ai pu que mesurer l'ampleur du désastre publié par Sans-Détour (i.e. Londres au XIXème siècle). C'est que la vingtaine de pages que les Mystères de Londres consacrent à Londres elle-même est mille fois plus inspirante, évocatrice et directement exploitable à une table de jeu que le gros machin de quatre cents pages sus-nommé.]
Londres, donc, est partagée en cinq grandes "régions" (la City, Westminster, Le West End, l'East End, le Nord, le Sud) et chacune, après une introduction d'ordre général, est plus spécifiquement envisagée à travers plusieurs domaines de connaissance possédés par les investigateurs : archéologie, occultisme, Mythe de Cthulhu, les lois, l'architecture, la Patente (histoire et géographie de la "région"), etc.
Ce n'est pas tout puisque les "régions" comportent aussi leur lot de rumeurs (quatre ou cinq bons paragraphes à chaque fois, autant de pistes de scènes, de scénarios ou d'ambiances à injecter dans nos parties) et de pnjs — génériques, ils sont les connaissances et relations vagues que les investigateurs peuvent avoir dans tel ou tel coin, comme le flic, le domestique, le gros-bras, l'interne en médecine, le glandeur, etc. Ils n'ont pas de nom et sont avant tout définis par leur occupation ou rôle : ce qu'il savent, où on peut le trouver, ce qu'il font.
Enfin, cinq encarts conséquents complètent l'ensemble : Londres légendaire, la flicaille, les clubs londoniens, le Londres souterrain, les cimetières.

Londres et le Mythe suivi de Monstres de Londres (les quatrième et cinquième parties) présentent respectivement :
— Des cultes en activité (grands consommateurs de livres maudits)  dont les personnages des joueurs croiseront fatalement la route à un moment ou un autre. La description des cultes s'articule en quatre paragraphes : une introduction puis, Localisation, Mode opératoire et Réaction (face à des investigateurs trop curieux).
— Des monstres. Avec ce chapitre, les auteurs s'affranchissent du canon lovecraftien en proposant une « magie optionnelle », la Mégapolisomancie. Un nom plutôt indicible pour qualifier la « magie des grandes villes, que la ville génère sa propre énergie magique ou qu'elle concentre des forces existantes par elles-mêmes. » Les possibilités offertes sont innombrables et avec les Entités Parapsychiques (sortes d'émanations menaçantes des grandes cités) et la liste des rituels Mégapolisomantiques donnés, on se dirige clairement vers un fantastique urbain où le Mythe n'est qu'une option parmi d'autres.

la sixième partie, Créer une campagne, propose trois styles de jeu, Abracadabrantesque, sordide, et Technicolor façon Hammer (avec de nombreux synopsis à l'appui). Puis, Dramatis Personae introduit une poignée de pnjs, des concurrents et des collectionneurs (tous abondamment décrits) et une librairie "clé en main", « conçue pour être le concurrent direct des Chasseurs de Livres. La façon dont les membres de cette maison géreront leur rivalité avec les personnages des joueurs reste du ressort du Gardien, mais ils devraient toujours être légèrement pire que les Chasseurs de Livres. » Délicieux.
Scénarios décortique la structure narrative des histoires que vont vivre les personnage des joueurs. Une ossature "standard" est proposée avec un découpage en dix éléments agrémentés de nombreux exemples (les amateurs de séries télés ne seront pas dépaysés). On va de l'Amorce « l’événement, le problème, ou l'opportunité qui attire les investigateurs. » à la Confrontation Finale en passant par la Première Révélation, le Retournement de Situation, etc. Très, très intéressant.

La septième partie est un gros scénario, Lettre noires à Whitechapel, qui utilise la Mégapolisomancie.

Le supplément se conclut par une riche bibliographie (dont je me suis évidemment empressé de me procurer les ouvrages honteusement absent de ma bibliothèque) et un gros paquet de cartes toutes téléchargeables sur le site de l'éditeur.

Je me rends compte que je n'ai pas mentionné l'époque qui sert de cadre aux Mystères de Londres. Par défaut elle est celle où s'inscrit Trail of Cthulhu (les années 30) mais à la lecture,  ce sont les années victoriennes qui se sont imposées. Précisément 1891, l'année du "grand hiatus" : Le lundi 4 mai, Holmes et Moriarty « accrochés l'un à l'autre » périssent dans les chutes du Reichenbach
Les crimes de l'Éventreur sont passés et bien que son ombre plane toujours sur les rues de Whitechapel, seule une poignée de flics et de journalistes demeurent encore obsédés par l'identité du tueur, accumulant des preuves contre tel membre du gouvernement ou reniflant sa trace dans le fait divers du jour.
1891 est donc une excellente année puisque je me débarrasse d'un seul coup des deux figures les plus emblématiques (et embarrassantes) de l'époque victorienne : le super-détective et l'insaisissable serial-killer. Car même si ma bibliothèque déborde d'ouvrages consacrés à ces deux personnages, j'avoue que leur utilisation en jeu me fait par avance bailler d'ennui.
Le tout est transposable sans douleur.

La suite au prochain numéro.


(1) Apocalypse World, La boite à Heuhh.