lundi 11 mars 2013

Le pays de Lovecraft : Dunwich

Le pays de Lovecraft, dit Wikipédia, est  « l'ensemble des lieux de Nouvelle-Angleterre, fictifs ou réels, utilisés par l'écrivain américain H.P. Lovecraft dans plusieurs de ses récits fantastiques. »
Et, « à partir des années 1980, le terme est popularisé par Chaosium, éditeur du jeu de rôle L'Appel de Cthulhu. En 1998, dans son supplément Dead Reckoning (non traduit à ce jour), Chaosium définit le pays de Lovecraft comme « un territoire situé dans le nord-est du Massachusetts. La portion la plus importante s'étend le long de la vallée de la Miskatonic, de Dunwich à l'extrême ouest jusqu'à son embouchure dans l'océan Atlantique entre Arkham, Kingsport, et Martin's Beach. »

Si j'inaugure une suite de billets consacrés au pays de Lovecraft par Dunwich, c'est qu'à bien des égards,  l'affaire Armitage m'a beaucoup fait penser au Dunwich de Chaosium (écrit par Keith Herber) :
1) Dunwich ne contient pas vraiment de scénarios mais présente une intrigue-prétexte « pour débuter une campagne dans laquelle le MJ improvisera événements et rencontres au hasard des pérégrinations de ses joueurs (le grog). »
2) Le professeur Armitage est la source majeure des indices donnés aux investigateurs : dans l'affaire Armitage, l'Armitage du futur envoie des lettres dans le passé à l'aide d'un sortilège ; dans le Dunwich de Keith Herber, Armitage qui travaille sur le journal crypté de Wilbur Whateley, « continuera de fournir aux investigateurs de nouveaux éléments tirés de ses traductions du journal de Wilbur. (...) Presque tout ce qui a trait à Dunwich, son histoire, sa préhistoire, ses souterrains ou au Mythe de Cthulhu peut se trouver dans les pages du journal de Wilbur. »

La nouvelle de Lovecraft « L'Abomination de Dunwich », publiée dans le numéro d'avril 1929 du magazine Weird Tales, commence le 2 février 1913 avec la naissance de Wilbur Whateley et de son jumeau monstrueux (qui donne son titre à l'histoire). Tous deux fils de Yog-Sothtoth et de Lavinia Whateley, Wilbur, doué d'intelligence et très tôt de parole, parait le plus humain. Avec son grand-père, un « vieillard à demi-fou, qui dans sa jeunesse, passait pour un terrible sorcier », ils ravitaillent l'Abomination avec du bétail acheté aux éleveurs du coin et nourrissent le projet démentiel « d'ouvrir la porte à Yog-Sothtoth. »
En 1925, Wilbur Whateley « reçoit la visite de l'un de ses savants correspondants de l'université de Miskatonic, qui regagna Arkham fort intrigué et légèrement inquiet. » On aura bien sûr reconnu le célèbre professeur Henry Armitage, « licencié es lettres de l'université de Miskatonic, docteur en philosophie de Princeton, docteur en droit de John Hopkins ; spécialiste des formules mystiques de l'Antiquité et du Moyen Age. » qui rencontre à nouveau Wilbur Whateley « cette gargouille à la peau basanée, au visage barbu, sale et mal vêtue, haute de deux mètres quarante. » au cours de l'hiver 1928, sur son terrain dans la salle de lecture de la bibliothèque de l'université.
Whateley veut emprunter la version latine du Nécronomicon — lui-même possède « un exemplaire incomplet de la version anglaise du docteur Dee, léguée par son grand-père. » Armitage refuse et, alarmé par les passages du Nécronomicon consultés par Whateley, revêt ses habits d'investigateur. « Au cours des semaines suivantes, il entreprit de réunir toutes les données possibles sur Wilbur Whateley et les présences invisibles qui assaillaient Dunwich ».
Le 3 août 1928, « au petit matin », Wilbur Whateley s'introduit dans la bibliothèque de l'université pour s'emparer du Nécronomicon convoité. Le gros chien de garde lui saute à la gorge et le tue. Armitage, qui a mis le professeur Warren Rice et le docteur Francis Morgan dans la confidence, prend les choses en main. Il récupère le journal de Wilbur Whateley et passe des nuits terribles à en traduire les sombres pages.
Le vendredi 14 septembre à 13 heures, les trois sont à Dunwich ; l'Abomination, que personne ne nourrit plus depuis la mort de Wilbur (le vieux Whateley et Lavinia sont mort depuis longtemps) s'est échappée de son sanctuaire et bat la campagne. Des fermes, des familles, des troupeaux sont détruits. Cinq inspecteurs de la police d'état, arrivés le matin, ont disparu.
Au crépuscule, « Armitage se répétait la formule qu'il savait par coeur (...). Il vérifia le bon fonctionnement de sa lampe électrique ; Rice tira d'une valise un pulvérisateur à longue portée (contenant de la poudre d'Ibn-Ghazy, la créature est invisible) ; Morgan sortit de son étui un fusil de chasse de gros calibre. »
Au bout de la nuit, les trois investigateurs atteignent le sommet de Sentinel Hill jusqu'où ils ont suivi les traces du monstre ; là, ils entonnent la formule de bannissement apprise par coeur : « une terrible détonation ébranla les collines, explosion cataclysmique dont on ne pouvait dire si elle venait du ciel ou des entrailles de la terre. Une indescriptible puanteur déferlait du haut de la colline et balayait toute la campagne environnante. Arbres et buissons semblèrent fouaillés par de furieux coups de fouets. Des chiens hurlèrent dans le lointain ; l'herbe et le feuillage se flétrirent et prirent une étrange couleur jaune grisâtre ; les champs et les forêts se couvrirent de cadavres d'engoulevents.
— Le monstre a disparu définitivement, dit Armitage. »

Un mot, en passant, sur le professeur Armitage et l'alliance contre le mythe rassemblée autour de son nom : la "cabale" Armitage chez Chaosium ou le "groupe" Armitage chez Pelgrane Press sont tous les deux centrés sur l'Université Miskatonic d'Arkham.
Le « groupe d'enquête Armitage » prend place en 1935 « après le retour de l'expédition Dyer-Peaslee dans l'ouest de l'Australie — "Dans l'Abîme du temps". » Fort d'une douzaine de personnes dont les trois de Dunwich et sans compter les pjs, le groupe d'enquête Armitage est financé par Mme Agatha Warren Pickman.
La « Cabale Armitage » se forme en 1928 immédiatement après les événements racontés par Lovecraft dans "l'Abomination de Dunwich". « Les "trois de Dunwich" (Armitage, Rice et Morgan), rejoints par le professeur Albert Wilmarth (le narrateur de "Celui qui chuchotait dans les ténèbres") et menés par le bibliothécaire Henry Armitage, exercent un total contrôle sur les plus puissants documents des rayonnages Orne, et occupent une position idéale pour devenir le coeur de la résistance organisée contre le mythe de Cthulhu. »

Le supplément de Keith Herber consacré à Dunwich connait deux éditions, Retour à Dunwich, un village oublié au pays de Lovecraft (Descartes, 1992) et Les terres de Lovecraft, Dunwich (Sans-détour, 2010).

Deux scénarios sont proposés en fin d'ouvrage.
Le premier, Retour à Dunwich, fait pour expédier les investigateurs à Dunwich « commence normalement en 1928, entre 2 et 12 mois après septembre et les événements de l'Abomination de Dunwich. » C'est-à dire, au moment où « la cabale est encore en train de consolider ses positions et d'essayer de déterminer par la recherche quelles autres menaces pourraient exister au delà de Dunwich et des Whateley. »
C'est le professeur Armitage qui contacte les investigateurs. Une décision de justice donne un mois à la bibliothèque Miskatonic pour retourner la bibliothèque de Wilbur Whateley à un certain Amos Whateley — aucun lien de parenté entre les deux.
Armitage craint que ce Whateley là reprenne les études monstrueuses de Wilbur. Il n'en est rien. Amos, qui sait à peine lire et écrire, espère seulement trouver des informations sur le trésor légendaire des Whateley ; des générations de Whateley, le vieux Whateley lui-même et Wilbur après lui ont toujours fait leurs transactions avec des pièces d'or anciennes, dont ils semblaient tous avoir les poches pleines. La sinistre dynastie Whateley éteinte, beaucoup des habitants de Dunwich ont la certitude que quelque part dans la région est toujours enfoui un coffre rempli de ces pièces d'or.

Le deuxième scénario, Ciel, terre et âme, n'en est pas un. C'est une scène que le Gardien jette en pâture aux investigateurs comme un os à ronger afin de leur donner un avant-goût du plus gros "secret" de Dunwich. Suite à un léger tremblement de terre une faille s'est ouverte dans la cave de la ferme des Atkin. Le fils, Henry Atkin, rendu fou par « un nuage miasmatique de spores extra-terrestres provenant des vastes cavernes et tunnels qui traversent la roche de la région » a massacré ses parents et ses deux soeurs.
Ces spores sont produits par Abboth, une entité du Mythe « qui n'existe que partiellement dans ce monde. La majorité de sa conscience est encore contenue dans son essence, quelque part ailleurs. Néanmoins, cela n'empêche pas son Moi rêvant sur terre (plus précisément sous terre, au sein du vaste réseau souterrain de Dunwich et sa région) de souffrir d'une faim terrible.  »

« Le monde souterrain » de Dunwich (chapitre 6, 22 pages) est infiniment plus dangereux que la surface et se présente comme un concentré de Mythe : outre l'exploration elle-même qui comporte plus d'une occasion de dévisser au fond d'un abîme, on trouve Abboth et ses rejetons, un complexe Mi-Go abandonné, les vestiges d'une colonie hyperboréenne et l'Abomination de Dunwich. Car c'est ici que l'Abomination a été banni, prisonnière d'une ancienne magie druidique.

Le village de Dunwich (nous sommes tous Norman Bates !) et la campagne environnante sont abondamment décrits (78 pages). Plus de 300 entrées renvoient à la description des lieux, habitants ou maisons éparpillés sur le territoire de Dunwich. Ce n'est pas tant que ça, d'autant que beaucoup ne font que donner de la couleur à l'ambiance de décrépitude qui caractérise Dunwich : fermes abandonnées, familles incestueuses, vieilles rancunes, ragots, cadavres dans les placards, jalousies, vengeances, superstitions, mauvaiseté, ignorance et pauvreté.
D'une manière générale, si le Gardien n'a que faire de localiser précisément sur une carte la ferme moisie où vit telle famille de dégénérés, il se focalisera plus utilement sur les principales intrigues (et pnjs liés) développées au fil du supplément :

L'or des Whateley : Amos Whateley n'est pas le seul à s'intéresser de très près à l'or mythique des Whateley. Il s'est associé avec Lem Whateley, un individu méchant et retors qui suivra les investigateurs comme une ombre.
Mais ce sont les trois cousins Potter qui représentent un réel danger pour les investigateurs. Amos est sous la coupe de Temple Potter qui le fait chanter. Temple convoite aussi l'or des Whateley et a extorqué sa part à Amos. Ce Temple n'est pas un tendre et a déjà occis plusieurs personnes. Faire disparaître les investigateurs est une option tout à fait envisageable pour les cousins Potter. 

Les "Croyants" : la secte de Dunwich est un panier de crabes qui risque de faire passer les investigateurs à coté de l'essentiel. En effet, même si les "Croyants" se réunissent aux sommets de collines couronnées de cercles de pierres levées et cultivent le secret, ils n'ont rien à voir avec le Mythe. Consciemment du moins. Les "Croyants" sont manipulés par Abboth qui s'insinue dans leurs rangs par le biais de rêves. Un jour, et tant qu'à faire autant que ce jour surviennent quand les pjs seront présent, les "Croyants" vont faire le rêve commun du moment et du lieu de la prochaine cérémonie. Sans le savoir, ils vont provoquer le réveil d'Abboth (car les étoiles sont propices) et les habitants de Dunwich (téléguidés par l'entité) vont se lever et descendre docilement dans son repaire afin de lui servir de dîner.

L'Abomination de Dunwich, par Santiago Caruso
Le retour de l'Abomination : lors de la nuit fameuse où l'Abomination fut bannie, Curtis Whateley qui observait la scène à la lunette d'approche bascula définitivement dans la folie lorsque Rice projeta la poudre d'Ibn-Ghazy sur le monstre, le rendant un instant visible.
Peu avant l'arrivée des pjs, Curtis a exhumé le corps pourrissant du vieux Whateley pour le cacher dans une scierie abandonnée. « Ressuscité par un ancien artefact volé par Curtis dans la maison du sieur Whateley (le représentant du village, de la branche saine des Whateley), le corps du vieux sorcier se dressera bientôt et, escaladant Silent Hill, entonnera les mots qui ramèneront le fils de Yog-Sothoth du lieu où il a été banni. »

Dunwich, 373 habitants, se situe à une petite centaine de kilomètres d'Arkham, « dans une partie isolée de la vallée du Miskatonic ».

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